Etape de Montpellier

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Le 13 novembre 2020, la Fédération Nationale des Maisons des Potes organisait la visioconférence « Montpellier pour l’Égalité contre le racisme et les discriminations ». Côté invité-e-s, nous avions madame Fatma NAKIB, adjointe au Maire de Montpellier en charge de l’égalité femmes/hommes et droits des femmes, de la lutte contre les discriminations, de la défense des valeurs de la République et de la lutte contre les violences faites aux femmes pour la ville de Montpellier. Également, Ilhem GOULLI-FARID, la Présidente de SOS Racisme et du CLICS 34 à Montpellier, ainsi que Florence GUTKNECHT, secrétaire générale de SOS Racisme Montpellier et membre de l’association Le Refuge ; Ouafa B., militante au sein de Diversités, Art et Cultures Montpellier et de Fierté Montpellier Pride. Yves, citoyen investi dans la lutte contre le racisme et les discriminations, Maître Jules Teddy FRANCISOT, avocat à Montpellier, Adam et Thomas, deux étudiants de l’École Supérieure de Journalisme de Montpellier engagés dans la lutte contre le racisme et les discriminations. Aussi, Karima, militante associative à Montpellier et présidente de Partageons Ensemble 34, Nathanaël MOLLE, entrepreneur social dans le domaine de l’accueil de nouveaux arrivants en France, Zouber EL MALTI, personne diplômée, victime de discrimination à l’emploi et originaire de Montpellier. Côté fédération, Samuel THOMAS, délégué général de la fédération, Abdoulaye ainsi que Rachelle, Marie et Romane, apprenties chargées de communication à la fédération étaient présents.

 

Samuel débute la visioconférence en évoquant la première des 17 revendications des Maisons des Potes, à savoir l’organisation de la journée du 21 mars, journée internationale pour l’élimination de la discrimination raciale. Il explique que l’objectif de cette journée est de rassembler toutes les forces engagées dans la lutte contre le racisme, d’organiser des forums-débats, rencontres, expositions, etc. Il souligne également le fait que les municipalités sont des éléments indispensables à la réussite de ce type d’événements, et ce notamment dans la ville de Montpellier puisque Mickaël DELAFOSSE, à l’époque candidat aux élections municipales et désormais Maire de la ville de Montpellier, s’était engagé à mettre en place la quasi-totalité des revendications de la fédération s’il était élu maire. (voir photo ci-dessous)

 

 

 

Samuel évoque également la Semaine d’éducation contre le racisme qui se déroule à la même période que le 21 mars en déplorant que, de manière nationale, l’organisation de cette semaine était laissée à la bonne volonté des établissements scolaires. Autrement dit, ceux-ci n’ont aucune obligation de prévoir un événement quelconque durant cette semaine, et ils sont d’ailleurs très peu à le faire. Pour le peu d’établissements enclins à organiser cette semaine, c’est un manque cruel de bénévoles qui se fait ressentir. L’idée serait donc de former un maximum de bénévoles afin qu’ils soient aptes à effectuer des interventions en milieu scolaire, et ce dès maintenant. Pour unir les forces et les moyens de tous les bénévoles d’associations montpelliéraines, il soumet l’idée de créer, à l’instar de ce qu’a déjà fait la municipalité de Strasbourg, une Maison de l’éducation contre le racisme. Ilhem confirme la volonté de SOS Racisme Montpellier de faire partie de ces projets, notamment par le biais d’une exposition Martin Luther King créée par SOS Racisme. Maître Jules Teddy FRANCISOT confirme qu’il est également intéressant de faire intervenir des avocats lors de ces événements, afin que la population puisse mieux connaître les lois et les droits en matière de racisme et de discriminations. 

 

Ouafa B. explique qu’il est aussi important de visibiliser les actions déjà présentes et nombreuses sur Montpellier et auxquelles la mairie participe financièrement notamment. Par exemple, au sein des associations LGBTQIAP+ où elle milite, la commémoration autour du 21 mars s’effectue déjà et ce par la dénonciation du colorisme, c’est-à-dire l’impact du racisme dans les communautés de personnes concernées. Elle rapporte aussi des informations données par l’association Le Refuge indiquant que les réfugiés venus en France sous le motif d’être LGBTQIAP+ font face à des questions très intrusives. Elle va s’entretenir avec les associations dont elle est membre pour participer aux événements 2021 mais souhaite aussi qu’une communication soit effectuée autour des activités préexistantes, notamment au travers de la Fédération Nationale des Maisons des Potes qui se positionnerait dès lors comme un relais national d’informations des mises en œuvre d’actions locales, départementales voire régionales.

 

Maître Jules Teddy FRANCISOT parle de la nécessité de déconstruire l’idée massive qu’une personne victime de discriminations doit prouver qu’elle en est victime alors que le Droit Européen et également le dispositif du Code du travail attestent que des suppositions suffisent et qu’il est ensuite à charge de l’auteur des supposées discriminations de prouver que son comportement était étranger à toute discrimination. Cette fausse idée explique, entre autres, que peu de personnes démarrent des procédures, elles n’ont pas d’espoir d’obtenir gain de cause car elles sont convaincues qu’elles ne seront pas prises en compte par les forces de police. À cela Fatma NAKIB répond que la ville de Montpellier travaille avec la Délégation de la Sécurité, la police nationale, la police, le procureur de la République et le conventionnement d’une association qui porte l’application « Flag » (en français « drapeau »), visant à dénoncer le harcèlement de rue. Également, la municipalité va mettre en place une formation avec le procureur de la République auprès de la police, des agents de la TaM (Techniciens et Agents de Maîtrise) et d’autres agents assermentés dans le but d’être aptes à recevoir ce type de plaintes et à agir en conséquence. En outre, une seconde formation sera donnée par des associations montpelliéraines sur les questions d’accueil, de prise en charge des plaignants victimes de violences racistes et discriminatoires. Des référents assistant-e-s social-e-s et des référents LGBTQIAP+ seront nommés dans tous les commissariats de police et en particulier dans le commissariat de police de Montpellier.

 

Samuel réagit à ces propos en demandant, dans la suite logique de la revendication n°4 portant sur la création d’une Maison de la Justice et du Droit déjà existante à Montpellier, à ce que des associations ayant des juristes spécialisés dans la lutte contre les délits racistes et discriminatoires en leur sein effectuent des permanences à la Maison de la Justice et du Droit, mais aussi dans les maisons de quartier, les centres sociaux ou encore les maisons pour tous, qui sont généralement des entités appartenant à la ville, et ce dans le but de les accompagner dans leurs démarches. En effet, Samuel souligne que les victimes ont besoin d’être réellement accompagnées et pas seulement conseillées tout au long de la procédure (qualification des faits, dépôt de plainte au commissariat ou lettre en recommandé avec accusé de réception au procureur de la République pour les personnes ne voulant pas se rendre au commissariat, recherche d’un-e avocat-e qui accepte l’aide juridictionnelle, suite de procédure souvent très longue) au risque que la majorité des victimes n’aient pas le courage d’aller au bout de la démarche seules et décident de passer à autre chose sans que justice ait été rendue.

 

Reprenant cette idée de preuve de la présence de racisme et/ou de discrimination énoncée plus haut, les Maisons des Potes ont rédigé la proposition n°3 concernant la réalisation de testings à l’embauche, au stage et au logement, subventionnés par la municipalité et mis en place soit par les missions locales, soit par les associations locales. Les agents des missions locales devront être formés aux opérations de testings, et il sera intéressant que ce soit eux qui les fassent car cela donnera de la crédibilité à l’action auprès du procureur de la République. Cette proposition fait d’ailleurs partie de celles sur lesquelles Monsieur le Maire DELAFOSSE s’était engagé.

 

Cependant, lorsque ce sont les missions locales qui réalisent les opérations de testing, et que donc elles peuvent être amenées à dénoncer des entreprises ayant recours à des pratiques racistes et/ou discriminatoires, elles craignent que l’on ne leur reproche de faire perdre un partenaire à la ville.

 

Par ailleurs, Montpellier est une ville engagée dans la labellisation AFNOR de lutte contre les discriminations à l’embauche, et Fatma NAKIB propose tout d’abord que la ville et la métropole fassent leur propre introspection quant à cette labellisation, afin de faire « tâche d’huile » pour reprendre ses propos, c’est-à-dire en quelque sorte que la ville et la métropole servent d’exemple aux entreprises implantées à Montpellier pour intégrer la labellisation AFNOR de lutte contre les discriminations à l’embauche dans leurs propres structures.

 

Cet engagement dans la labellisation AFNOR de lutte contre les discriminations à l’embauche fait que si les entreprises montpelliéraines, encouragées par la mairie de Montpellier à s’engager dans label font finalement l’objet d’opérations de testings par les missions locales appartenant à la mairie, elles risquent de trouver cette démarche très déplacée de la part de la mairie de Montpellier et que cela éteigne les rapports de proximité entre ces entreprises et la ville. Fatma NAKIB doute de la réalisation de ces deux projets en simultané et préconise plutôt d’aller d’abord au bout de ce travail de labellisation, et éventuellement de tester les entreprises qui ont été accusées par plusieurs individus de pratiques racistes et discriminatoires. Fatma NAKIB explique enfin que cette question des discriminations à l’embauche est également travaillée avec Mohamed LAOUKIRI, adjoint à la ville de Montpellier pour la politique de l’emploi.

 

De son côté, l’avocat Jules Teddy FRANCISOT n’est pas forcément d’accord avec cette idée que la labellisation AFNOR et les opérations de testings sont assez incompatibles car selon lui justement pour éviter les hypothèses de « social washing » il serait intéressant de vérifier matériellement avec des opérations de testing que ce sur quoi les entreprises se sont engagées soit réellement mis en pratique dans la réalité.

 

Florence GUTKNECHT quant à elle appuie sur le rôle prépondérant de la prévention et de l’éducation, en mettant l’accent sur la formation du personnel enseignant, en réalisant des conférences dans des collèges et des lycées avec des archives, des témoignages à l’appui de personnes ayant souffert ou souffrant encore de racisme et/ou de discriminations ou encore en se basant sur des ouvrages tels que Le racisme expliqué à ma fille de Tahar Ben Jelloun et L’esclavage raconté ma fille de Christiane Taubira. Par ailleurs, témoigner est intéressant non seulement pour ceux qui écoutent les témoignages mais aussi pour les victimes elles-mêmes de racisme et de discriminations car cela leur permet d’extérioriser, de légitimer leur souffrance, c’est en quelque sorte une thérapie. Elle rappelle que les associations CLICS 34 et SOS Racisme organisent ce genre de dispositif en milieu scolaire et qu’elles sont ouvertes à ce que d’autres associations les rejoignent dans leur action. Cette proposition se rapproche de la revendication n°2 des Maisons des Potes ayant pour vocation de développer dans les centres de loisirs et les structures de jeunesse un programme pédagogique d’enseignement de la laïcité et de la lutte contre le racisme et les discriminations. Par ailleurs, la Fédération Nationale des Maisons des Potes effectue elle aussi des interventions de sensibilisation dans des établissements scolaires et particulièrement dans les villes de Narbonne, Béziers ou encore Strasbourg. Ce serait donc une action à déployer davantage à Montpellier. Florence dénonce également l’impunité des propos racistes et discriminatoires tenus par beaucoup d’internautes qui se sentent intouchables grâce à l’anonymat qu’internet garantit. 

 

De son côté, Adam, l’un des deux étudiants en journalisme, propose l’idée d’une mini campagne de communication dans le but d’être bien informé-e, de simplifier le langage juridique initialement très complexe afin qu’il soit à la portée de tous, et de connaître les bons gestes à adopter quand on est victime de racisme et de discriminations. D’ailleurs, Fierté Montpellier Pride travaille actuellement avec l’Université de Montpellier sur une plaquette expliquant les droits de chacun et la ville de Montpellier peut se faire le relais de ce genre d’actions. Pour Fatma NAKIB, les actions à effectuer doivent se faire sur la durée et ce tout au long de l’année et pas seulement des événements épars qui ne donnent finalement pas naissance à des progrès concrets. Par ailleurs, elle explique aussi qu’il est important qu’il y ait un lieu dans la ville d’information et de documentation, pour les victimes, les témoins, mais aussi pour les potentiels agresseurs.

 

Au travers de l’ouvrage Livret de famille de Magyd CHERFI présenté par Fatma NAKIB, tous les participants se mettent d’accord sur le fait que par l’art et la culture, on touche et on éduque.

 

En outre, Fatma NAKIB constate que beaucoup de citoyens français ne comprennent pas la présence multiculturelle en France, notamment par un manque d’enseignement, et leur ignorance provoque leur mépris et leur méfiance vis-à-vis de l’autre, créant tensions et divisions. C’est d’ailleurs à cause de cette méfiance et de ce mépris, particulièrement envers les jeunes d’origine étrangère, que ces derniers se referment sur eux-mêmes et ne se sentent plus français.

 

Ces jeunes sont d’ailleurs très investis dans la lutte contre le racisme et les discriminations à Montpellier selon Ouafa B., en travaillant dans les universités, en étant bénévoles dans des associations, et sont bien évidemment très présents sur les réseaux sociaux pour mener leurs combats. Il y a également beaucoup de jeunes qui ont participé aux dernières éditions du festival Arabesque, avec au programme les rencontres des arts du monde arabe à Montpellier, et ce dans une époque où la communauté musulmane, mais même plus largement la communauté arabe est très stigmatisée à cause des séries d’attentats. Cela montre que les jeunes savent faire la distinction entre les islamistes extrémistes et les musulmans normaux et que ce sont donc des personnes éclairées et pleines de bon sens.

 

Ouafa continue en expliquant qu’il faut déconstruire les préjugés, et que c’est ce qui a été fait par les médiathèques de Montpellier lors de la semaine du 21 mars les années précédentes en cherchant d’où venait historiquement les expressions telles que « travail d’arabe » ou « les arabes sont des menteurs et des voleurs ». Les document utilisés et réalisations des années précédentes sont à ce jour toujours disponibles dans les médiathèques montpelliéraines. 

 

Une volonté commune et unanime ressort de fédérer les associations de lutte contre le racisme et les discriminations locales, de s’échanger les bons plans, de partager les expériences, de s’inspirer des initiatives des uns et des autres, voire de transposer les actions d’une association à une autre association et de se soutenir pour être plus forts ensemble.

 

Nathanael raconte à son tour qu’il a créé une structure nommée Singa qui travaille sur l’inclusion dans des sociétés d’accueil sur le long terme des personnes réfugiées qui fuient la persécution de leur pays d’origine. La structure se focalise sur des parcours individuels des personnes sur des périodes relativement longues, avec pour objectifs de les accompagner dans leur intégration notamment en les mettant en relation les personnes concernées avec leur société d’accueil mais aussi et surtout de faire évoluer le regard de la société sur les réfugiés. Nathanael rejoint alors les propos de Fatma NAKIB quelques minutes avant en expliquant que les personnes n’appréciant pas les migrants sont des personnes qui ignorent qui ils sont, qui manquent d’informations à leur sujet, qui sont victimes de méconnaissance.

 

À la suite de cette constatation, Singa a décidé de mettre en place un programme de mise en relation entre des personnes réfugiées et des personnes françaises et de communiquer sur les rencontres entre celles-ci. En est ressorti qu’une fois la barrière de l’inconnu et des préjugés franchie, tout se passait très bien. Singa a également mis en œuvre des formations et d’accompagnements, des ateliers mutuels de vivre ensemble pour mettre les préjugés sur la table et les dépasser ou encore des événements pour permettre à des personnes qui ne se seraient pas rencontrées à la base de le faire autour d’un tournoi de football par exemple. Nathanel finit en posant le problème intéressant de réussir à faire en sorte que les personnes non-militantes et celles qui ne sont pas concernées personnellement par le racisme et les discriminations finissent par l’être car c’est un problème de société qui nous touche tous.

 

Zouber EL MALTI prend la parole afin d’expliquer que depuis son arrivée en France à 17 ans, il a toujours été victime de discrimination, que ce soit durant ses études, dans sa recherche d’emploi, etc. Il a écrit un livre intitulé Parcours du combattant : tel père tel fils qui retrace les difficultés de son parcours. Zouber est originaire de Montpellier, mais a été contraint de quitter la ville et même le département car après des milliers de candidatures, il n’y a pas trouvé de travail. Il a récemment attaqué en justice trois écoles, situées hors de Montpellier, pour discrimination à l’embauche suite à la réalisation de testings avec l’aide de SOS Racisme Montpellier et qui ont donné pour résultats que à compétences égales un candidat au nom et prénom à consonnance française était embauché alors qu’un autre candidat au nom et prénom à consonnance étrangère voyait sa candidature déclinée.

 

Le débat se termine par un échange de connaissances d’ouvrages et de documentaires sur les sujets traités pendant les deux heures de réunion : Harcèlement : Liberté, égalité, fraternité et Résilience de Ilhem GOULLI-FARID, Culture coloniale : la France conquise par son empire, 1871 - 1931 de Pascale BLANCHARD et Sandrine LEMAIRE et le documentaire « Ouvrir la voix » d’Amandine GAY.