Associations et quartiers populaires : 1ères victimes de l’austérité ?

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Comment rompre avec une politique d’austérité qui frappe d’abord de manière destructrice les associations et les communes les plus pauvres ? Comment doubler les moyens des associations implantées dans les quartiers populaires ?

 

Avec :

Samuel Thomas (Délégué Général de la FNMDP)

Ugo Lanternier (maire Adjoint d'Aubervilliers)

Naima Charai (Présidente de l’ACSÉ)

Louis Mohamed Seye (Secrétaire National du PS à l’égalité citoyenne)

François Delapierre (Secrétaire National du Parti de Gauche)

Madeleine Ngombet Bitoo (Vice présidente du Conseil régional de Poitou Charente)

 

 

 

 

 

  

 

Samuel Thomas : On a fait le choix de parler d’austérité concernant le financement des associations et des quartiers populaires parce que la réplique la plus classique qui est faite aux acteurs associatifs quand ils réclament des fonds publics pour mener des actions dans les quartiers, c’est : « On est en période d’austérité et nous ne pouvons pas faire davantage pour vous que ce que les budgets de l’Etat nous permettent. » Les soutien franc et massif aux revendications des associations porté par François Hollande et l’actuelle majorité parlementaire pendant la campagne présidentielle s’est traduit par l’assurance que la chute de Nicolas Sarkozy serait due à la violence de sa politique contre les associations antiracistes, contre les habitants des quartiers, contre les musulmans, et que la gauche avait pour première mission de changer de politique et de discours à l’égard de ces populations stigmatisées et maltraitées durant ces dernières années. On sait qu’il y a une convergence d’ambitions pour restaurer les moyens et la parole de la République à destination des quartiers, qu’il y a une forte conviction qu’il faut réparer les inégalités sociales qui frappent les quartiers et qu’il faut payer la dette sociale à l’égard des quartiers. Mais les choix budgétaires qui ont été faits sont ceux de l’austérité avec la nécessité de d’abord redresser les comptes publics. D’où l’insatisfaction des associations et acteurs des quartiers.

 

 

 

 

Ugo Lanternier : Le vrai sujet pour le secteur associatif, je le dis en tant qu’élu mais je le disais en tant que militant associatif, c’est d’avoir de la visibilité et de la pérennité dans les financements. Ce que je voudrais dire de manière peut-être un peu provocatrice, c’est que dans la politique municipale qu’on mène, j’ai du mal à voir où se situe la politique austéritaire. Effectivement, il y a aujourd’hui un certain désengagement d’un certain nombre d’institutions qui considèrent que puisque les collectivités prennent plaisir à soutenir nombre d’initiatives, l’Etat peut se désengager. Ce qui veut dire qu’on utilise des crédits d’aide aux associations pour une politique qui il y a 20 ans était encore une politique d’Etat. Je trouve regrettable aujourd’hui que les collectivités se retrouvent dans la logique de l’unique financeur. C’est-à-dire que lorsque je m’adresse aux dirigeants d’associations, j’ai la désagréable impression de les avoir mis sous tutelle ou sous cloche.

Au-delà de cette question, il serait intéressant de voir comment on pourrait élaborer des propositions pour que les associations soient aidées de manière plus simple, quelques soient les gens qui les aident. Je me dis qu’il faut avoir fait soit un certain nombre d’années de militantisme de terrain, soit des études administratives pour simplement passer la première étape lorsqu’on remplit des dossiers de demande de subvention aujourd’hui. Il y a également des collectivités qui demandent deux ans pour examiner un dossier. Ça me gêne. Deux ans, c’est le temps pour un projet associatif de naître, de vivre et de mourir. Il faudrait avancer sur des projets déjà amorcés, y compris sous la gauche, à savoir les financements pluriannuels. Le deuxième sujet, c’est les garanties de l’indépendance. Le fait que l’on soit 4 ou 5 fées autour d’un berceau évite d’être dépendant de l’un ou de l’autre. Enfin, je pense qu’il faut reconnaître quand les collectivités soutiennent, et reconnaître qu’elles peuvent avoir des priorités.

A ma connaissance, il n’y a pas encore eu de décentralisation en la matière, donc il n’y a pas de raison que les collectivités financent à la place de l’Etat. Le jour où ce sera le cas, pourquoi pas mais je suis d’avis que ce soit utile pour les associations nationales ou locales de pouvoir aller taper à tous les niveaux. Le schéma de simplification qu’on nous a annoncé doit d’abord s’appliquer aux subventions aux associations. Parce qu’on a les deux extrêmes aujourd’hui . Pour les associations financées depuis 25 ans et à qui on n’a jamais demandé de remplir des choses très compliquées, il ne s’agit que d’une simple reconduction. Mais pour les nouvelles associations, aujourd’hui il faut avoir un commissaire aux comptes. Si les demandes pouvaient être simplifiées et le financement accordé sur trois ans, cela aiderait aussi bien les acteurs associatifs que l’ensemble des partenaires à avoir une vision de ce qu’on fait ensemble au quotidien. Et puis il faut aussi faire des choses non-subventionnées. C’est souvent dans ce cadre qu’on invente les choses les plus radicales, les plus innovantes.

 

 

Naïma Charaï : J’entends le désarroi du monde associatif. Il est entendu aussi par le gouvernement. Ce désarroi doit être mis en lien avec le désarroi des habitants des quartiers populaires. J’ai été amenée, depuis que je préside le Conseil d’Administration de l’ACSE, à faire le tour de France des quartiers populaires. Je constate une dégradation des conditions de vie des habitants des quartiers populaires. Je suis assez inquiète. On est très loin des clichés de la banlieue : jeunes qui tiennent les murs, hordes d’islamistes qui ont envahi l’espace public. Je constate une très grande précarité qui est remonté par le monde associatif, les préfets, les directions départementales de la cohésion sociale et les habitants eux-mêmes. Ce constat est étayé par l’observatoire des zones urbaines sensibles : dans les quartiers populaires, 37 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, 22 % de la population est au chômage. Dans certains quartiers, le chômage des jeunes peut atteindre 30, 40, 50 % de la population.

Une fois dressé ce tableau assez sombre, on peut faire le parallèle avec le quart-monde de la France. 85 % de la population en banlieue a voté pour François Hollande, donc nous leur sommes redevables. Le ministre de la ville a mis en place une longue concertation qui a duré six mois et doit faire l’objet d’une loi. Elle doit être présentée au conseil des ministres le 12 août et être débattue au Parlement en septembre ou octobre. Cette réforme de la politique de la ville a plusieurs objectifs : réduire les inégalités sociales et géographiques dont sont victimes les quartiers populaires. Pour cela, le ministre va proposer une méthode qui sera dans un contexte budgétaire réduit mais ce n’est pas le seul élément de cette réforme : c’est la réduction des zones. Pendant très longtemps, on a superposé les dispositifs. Il est devenu aujourd’hui extrêmement complexe pour une association de trouver seulement un interlocuteur. Aujourd’hui, on a plus de 2 500 quartiers prioritaires qui bénéficient du budget de la politique de la ville. Cela fait 20 ans qu’ils ont été définis. Depuis la concertation, on a 12 agglomérations au niveau national qui font l’objet d’une expérimentation notamment sur la contractualisation. A priori, un seul indicateur devra définir les nouvelles zones de géographie prioritaire qui sont 60 % du revenu médian pour l’année, à savoir 11 254 €. Cela va permettre à un certain nombre de quartiers de sortir de la politique de la ville parce qu’elles n’ont plus à en bénéficier. C’est le droit commun qui doit reprendre sa place. 1 000 quartiers prioritaires devraient bénéficier de l’ensemble des moyens de la politique de la ville. C’est une option assez intéressante.

On a aussi la volonté de rétablir l’égalité républicaine. Je trouve l’indigence de l’Etat scandaleuse, celle de l’Education nationale, de l’emploi. Quand on regarde l’investissement par élève dans un quartier populaire par rapport à l’hyper-centre d’une ville. Quand on fait les ratios, c’est juste scandaleux. Il faut aussi obliger l’Education nationale à réinvestir les quartiers populaires et faire son job. C’est un préalable à une modification de la situation actuelle. A Clichy-sous-Bois, il n’y a même pas de Pôle Emploi et ce n’est pas la seule commune en difficulté dans ce cas. La politique de la ville n’est là qu’en supplément du droit commun et il est vrai que ces dernières années, il y a eu une substitution de l’un sur l’autre. On est en train d’essayer de renverser la vapeur. Ce combat est difficile car les élus locaux, associations freinent pour sortir de la politique de la ville, mais la volonté du gouvernement et de cette réforme, c’est de donner plus à ceux qui ont moins.

Concernant le monde associatif, je préside une agence qui octroie 100 000 millions d’euros aux associations. Les associations nationales et têtes de réseaux n’en sont pas les principales bénéficiaires puisque 92 % des budgets de l’ACSE vont au niveau départemental. Une grande réflexion a été menée par Mohammed Mechmache et Marie-Hélène Bacquet sur l’empowerment à la française. Comment on fait participer les habitants à la co-élaboration, la co-construction d’une politique publique. Il y a tout un volet sur le maintien du monde associatif. Comment on réinvestit ces quartiers populaires en faisant confiance à sa population qui est de mon point de vue la principale experte sur l’habitat, le lien social, l’éducation de ses enfants, les transports… Des éléments de ce rapport devraient être appliqués dans le cadre de la politique de la ville.

Il faut qu’on ait des engagements fermes et je vous invite à interpeler directement le ministre à la ville. Les associations ont besoin de sécurité. Il n’est pas acceptable quand on travaille avec des associations depuis des années, de leur demander chaque année un rapport d’activité, de remonter des dossiers de subvention qui prennent un quart-temps de temps salarié pour remonter ces dossiers de financement. Il faut faciliter la vie de ces associations en sécurisant leur parcours de financement mais aussi en leur faisant confiance. Les associations ont un rôle majeur dans cette interpellation des pouvoirs publics. La politique ce ne sont que des rapports de force.

Le monde associatif crée et maintient le lien social dans les quartiers populaires et bien au-delà. C’est lui qui fait la République et la cohésion nationale.

 

 

 
 

Mustapha Saha : Tous les problèmes aujourd’hui viennent du fait que nous fonctionnons sur des concepts juridiques, économiques obsolètes. Vous vous rendez compte que les modélisations les plus perfectionnées aujourd’hui, les gens qui écrivent et publient chaque mois des livres, ont pour référence absolue Keynes. Keynes c’est la crise mondiale de 1929. Il apporte quelques solutions, provisoires, intermédiaires. Vous vous rendez compte que l’Etat fonctionne sur ça. Et pourtant, de par mon expérience quotidienne, je suis fier de découvrir chaque jour que nous avons l’horlogerie étatique la plus formidable, la plus perfectionnée du monde. Et nous avons des technocrates qui travaillent sur des modélisations d’apothicaire. Chaque fois qu’il y a un problème, ils sortent d’un tiroir une solution qui n’a rien à voir avec la réalité sociale.

Aujourd’hui, je suis le fou du roi à l’Elysée. Je suis le seul qui fait des notes au Président sous cachet, c’est-à-dire qu’elles ne passent pas par les technocrates. J’ai cette liberté extraordinaire de dire ce que je veux. Et la liberté fait partie de la devise de la République. Nous avons la Constitution la plus révolutionnaire de l’humanité qui inscrit les droits de l’Homme  dans son préambule. Appliquons-là. Passons du droit au formel au droit réel, voilà mon combat depuis un an à l’Elysée. Les concepts ne sont pas anodins. Ce sont des armes quand ils passent par la volonté politique qui les transforme en vecteurs transformateurs de la réalité.

Ma présence ici est un hommage à cette association extraordinaire qui combat pour les droits de l'Homme, à Naïma Charaï, qui vient du peuple. Et je suis fier des filles et des garçons du peuple.

 

 

 

 

Louis Mohamed Seye : Ce qui est intéressant pour les associations, c’est d’avoir la pérennité et avoir plusieurs bailleurs pour les aider. Je ne veux pas aller trop vite, mais je crois que c’est ce qui est prévu pour les associations en CUCS. Il y aura possibilité d’avoir une pérennisation sur trois ans. C’est déjà une avancée même si cela ne va pas tout résoudre. Cela va représenter une simplification administrative qui évitera chaque année de renouveler bilans financiers et rapports. Moins de paperasse et plus d’actions sur le terrain.

J’entends parler de désarroi du monde associatif. Ces associations sont confrontées au quotidien à la dure réalité que vivent certaines familles. Elles doivent les « remonter », les supporter, elles se doivent d’être combatives. Pour reprendre ce qui a été dit sur les actions non subventionnées, et c’est en tant que président d’association que je parle, il est vrai qu’on a tous eu à faire du bénévolat. On a entamé ces actions pour aider nos petits frères dans les quartiers. C’était généreux, complètement désintéressé. On l’a fait sans demander un sou à personne. Par la suite, on a pu monter des projets subventionnés petit à petit. Mais il ne nous est jamais venu à l’idée de devenir des gestionnaires de fonds publics. Nous sommes là pour, peut-être essayer de faire avancer la société, participer à cette cohésion sociale qui est importante pour nous, et en tout cas plus importante que le mot « intégration » dont nous ne voulons plus entendre parler. Pour des gens qui sont nés ici, et qui ont fait toute leur vie ici, c’est un peu ridicule d’entendre parler d’intégration. Peut-être « affiliation », comme disait Robert Castel, c’est plus sympathique. Je crois que tous les sociologues s’accordent là-dessus.

Le grand problème reste le chômage des jeunes et il est vrai que nos associations embauchent nombre de jeunes, qui après tracent leur propre parcours. Ce que je demande, c’est que ces jeunes aient une bonne formation pour pouvoir rebondir. C’est que l’on puisse les former le temps qu’ils sont dans nos associations, avec les bons outils, selon les spécificités de chaque association et d’avoir la possibilité de les accompagner et non de les laisser tomber après trois ans. Les emplois d’avenir prévoient un accompagnement pour former les jeunes, etc… ça existe mais il faut que ce soit fait. J’ai entendu parler de réduction des inégalités sociales et de priorité des quartiers populaires. Je tiens à souligner que si François Hollande a été élu, c’est avant tout grâce aux quartiers populaires. Je ne veux pas dire qu’il nous doit quelque chose mais moralement en tout cas, il sait d’où lui est venue l’aide qui l’a porté au plus haut sommet de l’Etat. Il ne faut jamais perdre les quartiers populaires de vue, parce que c’est là qu’est la jeunesse, c’est là qu’est l’invention et la France se joue aussi beaucoup dans les quartiers populaires. Je repense au mot de Ségolène Royal repris par le Président : « Les quartiers populaires ne sont pas un problème mais une solution pour la France. » Certes, on y trouve de la misère, mais il y a aussi des jeunes qui se battent, qui entrent dans les grandes écoles, on a des cadres qui en viennent. Il faut positiver les choses.

Au PS dont je fais partie, on est censé apporter des idées et servir d’aiguillon au gouvernement, tout en accompagnant et en expliquant la politique du gouvernement. Un plan de deux ans a été mis en place concernant la délégation interministérielle contre le racisme et l’antisémitisme. Des actions ont été prévues, j’espère que les choses vont se faire. Le Ministre de la Ville a prévu un plan de lutte contre les discriminations. On attend. Les associations servent également d’aiguillon. C’est pour cela que nous sommes là, pour répondre à cette interpellation. Les politiques ont besoin de voir cette réalité. Il y a tellement de choses à faire. Il faut constamment interpeler. J’essaie de le faire à ma manière, tout en gardant les formes. Il faut compter sur nos propres forces. Nous avons tous grandi dans les quartiers populaires, nous devons tous à l’école républicaine qu’il faudra à un moment ou un autre réhabiliter. On tape beaucoup sur l’Education nationale. Il est vrai que ça ne bouge pas beaucoup au niveau des inégalités sociales et on incrimine l’Education nationale. Cependant beaucoup de jeunes sortent avec des diplômes, deviennent cadres. Après se pose la question de l’embauche, c’est autre chose. Comment se fait-il  aujourd’hui dans un pays républicain, que seuls les descendants d’une certaine caste aient le droit d’accéder à un établissement d’enseignement prestigieux pour parler du collège de la Légion d’Honneur à Saint-Denis. On y aurait mis 20 à 30 % d’ouverture concernant les admissions, j’aurais pu le comprendre. Mais qu’une école subventionnée par nos impôts soit fermée aux jeunes des quartiers populaires, les meilleurs d’entre eux, ça me choque.

Dernières choses, je pense que le bénévolat est important parce que c’est ce qui construit les associations. Et c’est vrai qu’avec des idées et de l’imagination, on peut suppléer aux subventions. Les associations savent très bien faire des actions pour faire rentrer de l’argent.

Par ailleurs, les inégalités territoriales génèrent de l’inégalité entre les citoyens. Ce problème mérite des assises ou des états généraux. Se réunir, poser tout sur la table et produire un manifeste de l’égalité à remettre aux autorités. Si on pouvait réunir plus largement en France, ce serait bien.

 

 

 

 

 

François Delapierre : Il se trouve que par hasard je débarque de Grèce, et je peux vous dire que l’austérité conduit à une catastrophe humanitaire. 40 % de la population n’a plus de sécu. Et comme ils n’ont plus de sécu, ils ne se soignent pas. On pourrait se dire que la Grèce est le pays le moins développé de l’Union européenne. Pas du tout. C’était le pays dans lequel quand vous alliez à l’hôpital, on ne vous demandait rien même si vous étiez étranger d’ailleurs. On était soigné directement gratuitement. Pour un certain nombre d’entre eux, on leur demande de s’endetter auprès de l’hôpital et ils refusent parce que la dette est ensuite transmise aux enfants qui démarrent dans la vie déjà dans une situation terrible. On doit sortir pour les quartiers. Si on rentre dans cette politique, on est mort. Bien sûr, on fera des choses. Les camarades grecs créent des dispensaires, collectent des médicaments. C’est vers ça qu’on va si on applique l’austérité. Tout le dévouement associatif sera indispensable mais n’inversera pas la situation. C’est une solution politique qu’on peut empêcher. Si au moins les efforts étaient répartis et que chacun devait subir un peu d’austérité, cela serait juste. Mais ce n’est pas la réalité. L’austérité, c’est une politique qui prend à un endroit pour remplir à un autre. Cette semaine on a eu les chiffres : + 25 % pour les patrimoines des 500 plus grandes fortunes de France, 330 milliards. Les pigeons ont doublé les levées de capitaux qu’ils ont faites l’année dernière. Les pigeons ce sont ces entrepreneurs qui nous disaient « Ohlala si le gouvernement touche la fiscalité, on est condamnés. La France va être en retard » Hé bien, ils se portent bien eux. Et parmi les cadeaux que le gouvernement leur a fait, il a refusé de réformer une ISF, ce qui va coûter l’année prochaine 13 milliards au budget de l’Etat. L’austérité c’est une politique qui enrichit certains et qui en appauvrit d’autres. Et ce qu’on vit dans les quartiers, c’est la conséquence de cette politique-là. Ce qu’on va subir et qu’on subit déjà : concernant la réforme de l’assurance-maladie, on se dit qu’on n’a pas les moyens d’augmenter les cotisations des entreprises, ça remettrait en cause la compétitivité. La solution, c’est les déremboursements. Qui est-ce qui morfle ? Mais qu’est-ce qu’il faut avoir dans la tête pour inventer le déremboursement, c’est-à-dire ne pas voir une partie de la population qui ne va pas seulement être responsabilisée, contribuer à améliorer les comptes en mettant des sous pour continuer à prendre ces médicaments, mais qui va arrêter de se soigner. Et le premier signe qu’on a aujourd’hui de la dégradation dans les quartiers, il est physique. On voit la dégradation sanitaire de la situation de gens qui arrêtent de se soigner. Si on veut régler la situation dans les quartiers, il faut prendre en compte le fait que quand on est malade, on est pris e charge à 100 % et qu’il n’y a pas de politique de déremboursement. Et que s’il n’y a pas de politique de déremboursement, ce qu’il y en a d’autres qui vont devoir payer : les laboratoires, ceux qui ont les moyens.

Il faut créer un rapport de force, mais pas simplement par rapport à l’administration, à la mairie qui bien souvent se prend tout dans la figure, mais avec les riches, avec ceux qui sont en train de gagner cette bataille et d’accumuler toujours plus à travers les politiques d’austérité. Il faut s’en prendre à cette inégalité du système économique et social qui se généralise.

Si on rentre dans le détail, les politiques d’austérité facilitent les licenciements, diminuent les allocations chômage, fameuses réformes de Schröder que François Hollande est allé saluer en Allemagne. Voilà ce que sont les politiques d’austérité. Casser les services publics parce que le secteur privé est plus compétitif. Toutes ces politiques-là ont bien entendu une traduction humaine absolument terrible dans les quartiers. Bien sûr, il y a des choses à faire au niveau des quartiers, mais ne vous laissez pas enfermer dans un petit horizon de bagarre les uns contre les autres pour essayer d’obtenir la subvention qui diminue. On a évoqué la paperasse, mais vous savez d’où elle vient la paperasse ? C’est tout simplement parce qu’il y a moins d’argent et plus de demandes. C’est une manière de gérer la pénurie. Pour régler le problème de la paperasse, il faut régler le problème global des choix politiques qui sont pris derrière. C’est comme quand on parle de l’accueil dans les files des préfectures pour des papiers, et qu’on dit que les agents sont racistes. Mais, on le voit bien, si les agents des préfectures font des remarques c’est parce qu’il y a des dossiers de plus en plus lourds à déposer, avec moins de personnels pour les gérer. Tout le monde est à bout et tout le monde finit par se détester les uns les autres, alors qu’il faudrait qu’on se solidarise pour changer les lois. S’il y a quelque chose à simplifier aujourd’hui, c’est la législation sur le séjour des étrangers. S’il y a quelque chose à alléger, c’est ce qu’il faut payer dès qu’on demande le moindre papier en préfecture et qui n’a cessé d’augmenter. Tant qu’on ne le fera pas, on continuera à subir de plus en plus compliquées humainement.

Le cœur de la dynamique aujourd’hui du capitalisme libéral dans lequel on est et que Hollande appelait quand il était candidat « le pouvoir de la finance », le cœur de de cette dynamique, c’est l’inégalité à tous les niveaux. C’est la règle, l’invariant de ce système qui conduit à ne plus pouvoir vivre les uns avec les autres. L’inégalité produit le ghetto, l’inégalité produit le fait qu’on ne se parle plus, on ne se comprend plus, on se méfie. Et elle produit petit à petit cette dissociation qu’on peut subir. C’est pour cela que les inégalités territoriales ne sont pas la cause des inégalités sociales. L’inégalité territoriale c’est la manière qu’on a de gérer l’inégalité sociale. Au lieu de dire qu’on a des pauvres et des jeunes au chômage, on dit qu’on a des jeunes de quartiers. Et la machine sécuritaire derrière se met en place.

Lutter contre l’austérité c’est à la fois une nécessité pour ne pas tomber dans cette nasse mais c’est aussi ce qui peut rassembler la société. Qu’on soit dans le quartier ou juste à côté, parfois dans une situation sociale tout aussi difficile, même dans le centre-ville, on est tous victimes de l’austérité. Si les associations des quartiers portent ce message, dans les quartiers mais au-delà, non seulement elles créent le rapport de force dont je parlais mais elles contribuent aussi concrètement à lutter contre la ghettoïsation.

 

 

 

 

Madeleine Ngombet Bitoo : Je viens d’une région plutôt rurale. On parle beaucoup des quartiers mais il me semble qu’il se passe exactement la même chose dans le milieu rural où les dispositifs de solidarité existent de moins en moins, où les populations connaissent de plus en plus la précarité, l’isolement. Les associations implantées sur mon territoire rencontrent d’énormes difficultés, notamment la diminution des subventions publiques et leur transformation en commandes publiques. Pour avoir accès à ces commandes publiques, il faut être une association d’une certaine taille, disposant d’une ingénierie. Cela fragilise les associations en milieu rural. L’Etat fait ce qu’il peut et force est de constater que les subventions diminuent. Les petites associations qui animent les communes, qui font le lien local, ont peur, parce que les communes ont peur parce que les subventions de l’Etat continuent de diminuer et quand on veut avoir une bonne gestion, on évite de trop donner, on est frileux. Les communes et les associations craignent et n’y arrivent pas. C’est d’autant plus dommage qu’il y a des pans de notre vie sociale qui sont gérées par les associations parce que l’Etat n’y est plus ou y est peu et que les collectivités ne peuvent pas toujours y être.

En tant qu’élus régionaux en Poitou-Charentes, nous avons trouvé une petite parade qui est de créer et mettre en place un fonds régional de péréquation que nous appelons FRIL (Fonds Régional d’Initiative Locale). C’est un fonds qui permet de donner des subventions publiques à des associations dans des toutes petites communes ou des zones urbaines défavorisées. A ce moment-là, c’est le potentiel fiscal qui compte. Ce qui nous permet d’aider les associations à mettre leurs projets en place. Au Conseil régional, nous n’arrivons pas à doubler les subventions mais avec ce système de péréquation, nous permettons aux associations d’avancer, de mettre les projets en place et c’est bien finalement là l’essentiel.

Pour répondre à Monsieur Delapierre qui a parlé du report des soins et du renoncement aux soins. C’est quelque chose que je vis au quotidien. Je vis en milieu rural où il y a beaucoup de pauvreté. Elle ne se voit pas parce qu’on le cache. Mais je travaille en milieu médical et je la vois. Vous avez dressé un constat un peu dur par rapport au gouvernement qui n’est là que depuis un peu plus d’un an et qui ne peut tout résoudre d’un coup de baguette magique. La question du report des soins est grave, mais elle est grave déjà depuis un certain temps. Cela vous a peut-être échappé mais le gouvernement a adopté une mesure pour que les entreprises puissent faire en sorte que les salariés aient une complémentaire santé. C’est une mesure très importante car l’absence d’une complémentaire génère le report des soins. Il est vrai qu’il y a toujours des déremboursements mais dès lors que la totalité des salariés peut avoir une complémentaire, le problème ne sera peut-être pas entièrement résolu, mais on aura fait un pas important. Je tenais à le souligner, il y a des choses positives qui se passent.

 

 

 

Interventions dans la salle :

 

 

  

 

Marie-Christine : Je ne peux pas laisser passer certaines choses. Je travaille et milite dans les quartiers de Marseille depuis plus de 20 ans. Moi j’en ai assez d’entendre : « On va se débrouiller ! On va faire avec ! ». Nous avons des droits. Nos grands-parents se sont battus pour qu’on ait droit à la sécurité sociale. Moi je ne peux pas accepter ce qui se passe.

 

 

 

 

Djamila Alla : Présidente de NPNS, indépendante et démocrate en Aquitaine. On intervient aussi bien sur des zones rurales qu’urbaines. Je voudrais interpeler Monsieur Mohamed Seye. Notre association a des bénévoles mais on lui demande aussi d’être professionnelles pour être prise au sérieux par ses partenaires institutionnels. Effectivement, les bénévoles finissent par partir pour travailler. Nous recevons 5 000 femmes par an, victimes de violences qu’elles soient conjugales ou autres. Nous avons été dans l’obligation de prendre une salariée sur un poste adulte-relais. Aujourd’hui, nous ne savons pas si nous pourrons la renouveler du fait de l’austérité. Il faut aussi savoir que les associations sont un tremplin à l’accès à l’emploi. Je trouve que c’est manquer de respect aux militants associations et aux travailleurs associatifs de dire : « Vous pouvez fonctionner avec des bénévoles. » Non, ce n’est pas possible. Il y a tout d’abord la question de la pérennité à prendre en compte. Mais prenez aussi au sérieux les personnes qui créent de l’emploi. Quand on parle des emplois d’avenir, il faut savoir qu’il en coûte 500 € par mois à une association de prendre un jeune sous ce régime. Et ça ne va pas être facile à faire.

 

 

 

 

Loïc : Aujourd’hui l’extrême-droite n’est pas seulement quelques idiots utiles à notre débat démocratique qui se confrontent à la gauche de temps en temps, et comme dans les bals de village, on a quelques violences comme on avait à la belle époque. Ce n’est pas le cas. Il a fallu un mort dans notre commune pour qu’il y ait une réaction. Dans quelques années,  ce ne sera plus cela. Dans quelques années, ce seront les soraliens et compagnie qui aujourd’hui prennent un poids de plus en plus importants dans les quartiers parce qu’ils sont seuls à apporter une réponse à ces jeunes des quartiers en appelant à la violence. Ces gens peu connus de vos partis politiques font adhérer beaucoup de monde à leurs médias et c’est une urgence de lutter contre eux.

Concernant l’austérité, cette semaine dans la commune où je travaille se tenais une commission d’évaluation publique qui visait en réalité à diminuer les budgets. Le responsable de la réunion a stigmatisé les MJC qui selon lui touchent trop d’argent. Il faut avoir un minimum de décence. Je ne crois pas que les MJC roulent en limousine contrairement à ces élus qui roulent en vitres teintées. Qu’on aille chercher de l’argent dans des associations qui n’en ont déjà pas, il ne faut pas pousser.

Je pense qu’il y a des choses qui ne coûtent pas d’argent. Les gens ont un besoin de justice sociale. Il y a des mesures faciles à mettre en place : la lutte contre les discriminations raciales. Ça fait 20 ans qu’on ne fait toujours rien.

A Madame la responsable de l’ACSE, le budget de la Maison des Potes a été divisé par deux cette année. L’année dernière, il l’avait été par trois ou je ne sais plus combien. On en a marre à être les premiers à toujours perdre de l’argent. Alors que c’est nous-mêmes qui créons, dans les quartiers au quotidien, le fond politique, qui essayons de faire que les gens aient une intelligence, qui faisons l’éducation populaire au quotidien, on se retrouve sans cesse avec les budgets coupés. Oui nous voulons faire de l’éducation populaire, mais pas avec rien du tout.

 

 

 

 

 

Naïla : Malheureusement on n’a pas beaucoup parlé de subventions. On a parlé du bénévolat, loué le militantisme de certains et les engagements du Président. On ne voit rien d’autre. C’est très beau de répéter que les discriminations sont une priorité, si on ne fait rien, personne ne va y croire. Oui il faut maintenir les subventions, mais commençons par cesser de les baisser. L’indépendance des associations est fortement malmenée lorsqu’on leur demande de supprimer une de leurs actions afin de ne pas les subventionner. Donnez-nous des sous et non des conseils de gestion.

 

 

 

 

Eric de Narbonne : La simplification administrative, comme les conventions pluriannuelle, ne coûte pas un centime. Des villes et des régions l’ont mise en place, qu’est-ce qu’on attend pour la généraliser ?

J’ai interpelé le ministre sur les contrats de ville. Il y en a un peu marre d’avoir une armée mexicaine en face de nous. Pour ceux qui ne le savent pas, l’armée mexicaine est une armée où il n’y a que des généraux et pas de fantassins. Les fantassins sur le terrain commencent à en avoir ras-le-bol car il en reste de moins en moins. Réfléchissons plutôt à ce que font les fonctionnaires engagés dans la politique de la ville. J’ai été reçu par trois fonctionnaires qui me demandaient de justifier mon action alors que l’argent n’était pas versé sur le compte de l’association. Ils me tançaient pour une virgule qui n’était pas bien placée. Ça c’est insupportable pour des bénévoles qui sacrifie de leur temps et de leur argent, qui sacrifient leur carrière.

Nos associations ont été malmenées par l’idéologie sarkozyste libérale de l’appel à projet. On a passé des années à mettre les associations en concurrence les unes avec les autres. Ça suffit ça aussi !

Une question que je me pose aujourd’hui. L’éducation populaire, en voulez-vous ?

 

 

 

 

Naïma Charaï : Au-delà de l’idéologie libérale et sarkozyste que vous décrivez, en tant que Présidente de l’ACSE je ne vais pas m’en dédouaner, mais c’est la conséquence des RGPP, la politique dite de réduction publique qui date de 2009 et en même temps de la création du ministère de l’identité nationale et de l’intégration qui a réduit le budget de l’Etat sur la question de la lutte contre les discriminations et la question de l’intégration (aujourd’hui on appelle ça la cohésion sociale et nationale) et les crédits de la politique de la ville. La modification de ces politiques publiques a créé un clivage entre une gouvernance nationale, où l’ACSE a des interlocuteurs têtes de réseaux, avec qui on arrive à discuter très facilement. Pour la Maison des Potes, il n’y a pas eu de réduction de budget, ils ont été maintenus en état alors que depuis 2009, il y a eu une baisse des crédits de plus de 30 % sur l’ensemble des missions de l’ACSE. Les agents qui avaient l’habitude de travailler sur le terrain avec les associations, anciennement les agents du Fasild (Fonds d’action et de lutte sociale contre les discriminations), ont été intégrés dans l’administration départementale, les directions départementales de la cohésion sociale, ce qui fait qu’ils sont aujourd’hui devenus des gestionnaires des politiques publiques et moins des acteurs qui accompagnent l’ensemble des associations. Aujourd’hui, on est en train de réfléchir à cette gouvernance nationale mais aussi à comment faire le lien avec les départements quand il y a des politiques publiques qui vont être votées. J’entends l’exaspération de l’ensemble des acteurs associatifs notamment sur la lutte contre les discriminations. C’est un fléau qui gangrène les quartiers populaires. L’étude du Bureau International du Travail indique qu’un nom à consonance africaine offre quatre fois moins de chances d’accéder à un entretien. Ça gangrène l’ensemble de la société française, mais surtout ce pacte républicain qui est un pacte de l’égalité de traitement. Donc il y a des propositions qui vont être faites à la rentrée prochaine. Le Président de la République a reçu le 24 juin un ensemble d’associations issues des quartiers populaires. D’où l’importance de la mobilisation et du rapport de force. Il y aura ce conseil interministériel à la ville où il sera question de la prévention et de la lutte contre les discriminations. Depuis la suppression de la Halde, on n’arrive plus à trouver d’interlocuteur. Il faut mettre en place de la formation sur l’ensemble des services de l’Etat, justice, police… Un certain nombre de revendications sont portées notamment par Stop au Faciès au délit de contrôle au faciès pour des récépissés, ils ont été entendus et ces questions seront traitées. Il est important que vous l’entendiez.

Je vous me porter en faux sur ce rapprochement du milieu rural et du milieu urbain. Il y a des spécificités du milieu rural et des spécificités du milieu urbain qui ne sont pas les mêmes, même s’il elles se rapprochent concernant la désertification médicale. J’ai des images de banlieues populaires, notamment la banlieue d’Amiens où ont éclaté les émeutes l’année dernière, où l’on retrouve les stigmates de la pauvreté : obésité, diabète, absence de soins dentaires… Il y a une vraie urgence sociale. Il faut tenir compte des besoins du milieu urbain. Il y a une problématique tout à fait spécifique des grands ensembles même si je ne nie pas qu’il y a des similitudes.

Aujourd’hui notre pacte est mis à mal. On a perdu huit législatives dont la circonscription de Cahuzac. Quand on met en lien le nombre de personnes qui ont voté pour François Hollande avec le taux d’abstention dans les quartiers populaires, je me dis qu’il va falloir faire un équilibre entre l’oral et l’urbain. L’idée de faire nation entre l’urbain et le rural va être portée d’ici à la fin de l’année, notamment avec ce commissariat général à l’égalité des territoires où deux piliers vont essayer de rapprocher ces territoires de la nation pour essayer d’en faire une nation.

Concernant les subventions, oui c’est 30 % en moins depuis 2009. Le budget de la politique de la ville a diminué moins que le reste.

 

 

 

Mustapha Saha : Depuis mon enfance, j’ai une passion pour Victor Hugo. Et si je suis ici c’est pour, comme il le disait, être à l’écoute du peuple. Comme vous le comprenez, je suis tenu par un devoir de réserve par rapport aux questions techniques, je ne m’exprimerai absolument pas dessus. Je mène un combat depuis un an contre les technocrates. Je n’accepte pas qu’on traite le Président de la République Hollande. C’est le président de tous les Français et ce bashing populaire qui fait écho au bashing médiatique, je ne l’accepte pas. Je peux témoigner aujourd’hui qu’il est à l’écoute de la société. Alors, arrêtons le bashing et parlons de choses sérieuses. Les choses sérieuses, voilà mon combat tous les jours à l’Elysée.

Premièrement, sortir définitivement de cette logique infernale de la stigmatisation d’un côté et de la victimisation de l’autre. En tant que sociologue, je constate que la société n’a plus besoin de pouvoirs publics, elle s’investit elle-même dans l’action publique. Je ne comprends pas pourquoi on a posé des questions à une femme admirable, qui fait avancer les dossiers, en essayant de la coincer sur les détails.

La deuxième chose, il faut dire qu’il n’y aura plus jamais en France de citoyens de seconde zone. C’est le combat que je mène. Le premier article de la Constitution dit que tous les citoyens sont égaux. Il faut faire entrer le droit commun dans les réalités sociales et quotidiennes.

La troisième chose, vous qui êtes les porte-paroles des quartiers populaires, vous perpétuez cette image négative des banlieues. Les banlieues aujourd’hui sont les laboratoires du monde en devenir. C’est là où se passent les expériences intéressantes. Assez à la victimisation.

 

 

 

Ugo Lanternier : Est-ce qu’il faut qu’il y ait des drames comme la mort de Clément Méric pour qu’on réalise qu’il y a une extrême-droite. Il y a une quinzaine d’année, au-delà de nos divergences, nous avons lancé une pétition pour la dissolution du service d’ordre du Front National. Qu’on soit élu, militant associatif, qu’on soit aux responsabilités ou qu’on aspire à l’être, il ne faut pas se jeter la pierre et penser qu’il y a les vrais militants et les autres. On est tous conscients du risque et du danger de l’extrême-droite. C’est pourquoi cette question du soutien et des moyens de la politique associative est importante.

Par contre, sur le fait qu’on dise aujourd’hui qu’il n’y a pas assez d’emplois d’avenir. Je ne veux pas entendre qu’il n’y a pas assez d’argent pour les embaucher car, en Ile-de-France, 75 % de leur rémunération est portée par l’Etat et les 25 % restant par la région ou les collectivités, notamment dans le cadre des CDI. Quand la rémunération est soutenue à 95 % par un tiers, la responsabilité de l’acteur associatif, c’est d’embaucher. Ne dites pas qu’il n’y a pas assez d’aides concernant les emplois d’avenir, car je suis prêt à aller emmerder les membres du gouvernement les uns après les autres sur le reste de la politique publique, mais ce volet existe et il faut l’utiliser. Par exemple l’obligation de passer par un appel à projet pour tenir la permanence qu’on tient depuis quinze ans ou qu’on est les seuls à tenir dans le quartiers, est vraiment problématique. Saisissons-nous sur ce qui existe.

Tu peux commencer son interpellation sur l’extrême-droite et la finir par l’évocation des élus dans les voitures aux vitres teintées, moi je dis que ce n’est pas sur leur train de vie qu’il faut juger les collectivités. Les débats c’est plutôt le pluriannuel, combien on met sur le soutien à la vie associative. Objectivement, ce n’est pas l’argent qui est dépensé ailleurs qui pose problème. Il faut que les collectivités soient volontaires, sans dettes. Parce qu’une politique publique de gauche c’est de dire que ce n’est pas de financer les associations qui va mettre en péril les finances publiques de l’Etat. C’est une bataille contre le ministère des finances et ceux qui sont payés trop cher à examiner de temps en temps les rapports d’activité. Je ne dis pas qu’il faut qu’il n’y ait plus de rapports d’activité. Mais à un moment, on doit avoir droit à l’automaticité. Pour un repas de quartier, le ticket de Monoprix devrait suffire. Il serait temps de revenir à la simplicité. Bien sûr que l’Etat peut se simplifier. Mais il faut que dans nos rapports d’acteurs locaux, vous ayez ces revendications en tant que forces associatives.

 

 

 

Mustapha Saha : Il faut arrêter avec la langue de bois. Le monsieur qui est intervenu sur l’extrême-droite a raison. Moi je l’appelle le fascisme. Il se forme sur le terreau de l’exaspération populaire. Et elle est légitime.

 

 

 

Ahmed Serraj : Premièrement, nous ne sommes là pour victimiser ni les associations, ni les quartiers. Nous sommes dans des enjeux politiques, des enjeux citoyens et des enjeux autour de l’égalité réelle. Les acteurs associatifs que nous sommes ont fortement résisté pendant une dizaine d’années face à une offensive très libérale, très capitaliste. Il y a eu toute une question de détricotage entre les associations et les pouvoirs publics, à l’image de la RGPP. C’est le décalage entre l’exigence d’une vision politique de la part des associations et d’une vision qui tire vers le bas. Chacune de nos associations déploie une énergie folle pour maintenir sa pérennité. Nous sommes ici dans des enjeux de société. Si on n’a pas compris cela, on n’a rien compris. Excusez-moi Monsieur le conseiller du Président. Mais si on s’installe à la tribune d’un mouvement associatif, il faut aussi prendre la mesure de la responsabilité des pouvoirs publics.

La question que nous posons ici et dont nous avons débattu avec François Lamy en octobre, c’est qu’il n’y a aucune vision politique aujourd’hui ni de la politique de la ville, ni de la question citoyenne et associative de notre société. Il n’y a qu’un discours calé sur une logique d’austérité, une logique libérale. Il n’y a aucun mot, aucune volonté politique sur la place de nos associations, à un moment où l’extrême-droite se radicalise et où il y aurait besoin d’une vision politique et d’une parole institutionnelle forte en direction des acteurs associatifs et des acteurs de l’éducation populaire. Notre préoccupation aujourd’hui, elle est évidemment celle des moyens, mais celle de l’absence d’une vision politique d’un gouvernement de gauche. Nous mènerons le combat des enjeux politiques et citoyens car l’égalité réelle concerne l’ensemble des quartiers qu’ils soient urbains ou ruraux. Les services publics ont été réduits et appauvris et les fonctionnaires que nous avons en face de nous sont dans une logique de résistance. Ne stigmatisons pas les agents de l’Etat car ce serait scier la branche sur laquelle nous sommes assis. Si nous voulons rassembler les acteurs associatifs, il faut également rassembler les institutions, que ce soit dans les rapports que nous avons avec la police, la justice, l’éducation. Plus nous les stigmatisons, plus nous fragilisons les rapports que nous avons avec ces institutions. Plus de République !

 

 

 

Une intervenante : Je suis salariée dans une association de prévention spécialisée. Je travaille dans un quartier populaire actuellement classé en ZEP-PRS. Nous travaillons avec la présence au quotidien des CRS sur le quartier. Mon travail c’est la protection de l’enfance. Aujourd’hui, j’accompagne un groupe de jeunes filles. Je ne vous raconte pas les pieds et les mains qu’on a fait pour remplir des fiches de budget pour obtenir des subventions. C’est limite de la prostitution auprès de l’Etat pour emmener les enfants voir de l’ailleurs, pour ouvrir leur horizon vers l’extérieur, pour ne pas les laisser croupir dans leurs quartiers au sein desquels tout est bouclé. On met tout à l’intérieur des quartiers pour que surtout ils n’aient pas à en sortir. L’éducation marche moyennement, l’insertion ne marche pas. Vous venez me parler de bénévolat. Moi, j’ai payé mes études pour être éducatrice spécialisée, pour avoir un savoir-faire, un savoir-être, des compétences, pour accompagner ces jeunes, leur permettre d’acquérir l’émancipation et l’autonomie nécessaire pour devenir des citoyens qui seront droits dans leurs bottes et qui pourront développer la question du vivre-ensemble aux côtés de ceux qui vivent dans les quartiers et de ceux qui n’y vivent pas, aux côtés de ceux qui vivent dans l’espace urbain et de ceux qui vivent à la campagne. Car oui, les problématiques sont les mêmes : le manque d’accès aux services publics, le manque d’accès à l’accompagnement qui va vers une émancipation des personnes.

Deuxième point, oui Monsieur Delapierre, la santé est plus qu’important. Quand les salariés doivent financer des couvertures santé en plus, qui sont en bourse, dans le système capitaliste qui est à l’origine de la paupérisation, je trouve cela scandaleux qu’une médecin qui est élue au Conseil régional puisse poser ce genre de problématique, c’est dégueulasse. La santé est un des premiers droits au même niveau que l’éducation, que la sécurité. La prévention de la délinquance qui a été mise en place par Sarkozy et continue sous « la présidence de François Hollande », ça me va pas. Si on veut protéger l’avenir et les enfants, il ne faut pas privilégier le sécuritaire qui se résume à des flics dans les quartiers et des menottes aux poignets.

 

 

 

Aïssa : Je suis conseiller municipal à Clichy et je voulais revenir sur les conséquences des politiques d’austérité. Elles ont des répercussions sur les collectivités et le monde associatif. Sur ma commune, c’est 4 millions d’euros en moins sur les budgets. Bien sûr, les collectivités font leur possible.

Monsieur le Secrétaire national du PS, vous avez précisé que les quartiers populaires s’étaient fortement mobilisés pour les élections présidentielles. C’est vrai. Mais un an plus tard, il y a une forte déception. 9 millions de pauvres dans notre pays, 3 millions de chômeurs. Oui il faut des politiques fortes pour ces quartiers populaires qui passent par l’augmentation du Smic, du RSA, la baisse du chômage. Aujourd’hui dans certains quartiers, c’est plus de 25 % de la population qui est au chômage. On voit des grandes entreprises venir s’installer dans des quartiers et n’y recruter aucun jeune, aucun habitant. Il faut des réformes fortes pour le leur imposer sinon on continuera à se trouver en difficulté.

 

 

 

Louis Mohamed Seye : Je me sens à l’aise parmi vous en tant que responsable associatif. J’éprouve les mêmes difficultés. Ce n’est pas parce que j’ai fait l’éloge du bénévolat que je demande qu’il n’y ait que ça. Peut-être que je me suis mal exprimé. Bien sûr qu’il faut aider les associations qui ont besoin de salariés pour vivre.

J’ai entendu beaucoup de choses contre le gouvernement mais vous savez très bien dans quel état était le pays quand François Hollande est arrivé. Nous faisons le mieux possible. Là où je suis d’accord avec Monsieur Delapierre, c’est qu’il n’est pas normal que ce soit la Commission européenne qui décide de la politique en Europe. Il faut que les politiques reprennent sa vraie place en Europe, qu’ils reprennent le pouvoir.

Je ne crois pas que le gouvernement est l’ennemi des associations. On va lutter. Beaucoup de choses ont été écrites sur l’égalité. Nous sommes en train de passer à l’égalité réelle. Nous avons déjà réfléchi dessus. A nous de créer le rapport de force pour faire entendre qu’il y a des priorités dans nos quartiers. Je pense que le Président de la République a un regard bienveillant sur les quartiers. Je ne sais pas ce qu’on essaie de faire passer là au risque de se tirer une balle dans le pied. D’autre part, je ne représente pas le gouvernement ici même si je comprends sa politique et qu’elle n’est pas facile à entendre car nous sommes dans un moment difficile.

En ce qui concerne les zones rurales, je pense qu’elles ont plus besoin de services publics que d’associations pour le moment.

Par rapport à mon amie Madeleine, elle a parlé des mutuelles et pas des complémentaires-santé. Au contraire, il faut qu’on protège nos mutuelles.

 

 

 

François Delapierre : Ce n’est pas un problème d’étiquette politique, vous n’avez rien à attendre d’un gouvernement qui applique l’austérité. On ne peut pas dire d’un pays, riche comme il l’a jamais été, qu’il est normal de payer pour une franchise médicale. Sinon, ce sont les habitants des quartiers populaires qui vont se le prendre dans la figure.

Ce qu’il y a à attendre d’un gouvernement pour améliorer la situation est simple. On a morflé pendant des années, et pendant des années –il suffit de regarder les chiffres– ils se sont gavés. Il y a eu une explosion des inégalités comme jamais en France. La pauvreté d’un côté est la conséquence de la richesse à un autre endroit. Tant qu’ils ne voudront pas s’attaquer à cette richesse et fâcher le MEDEF, la situation ne s’améliorera pas pour la masse de la population. Nous n’avons qu’à compter sur nos propres forces. Chacun peut résister même en tant que Secrétaire national du PS. Delphine Batho l’a fait. Tout le monde peut le faire et les occasions ne manquent pas malheureusement. A la rentrée, il va y avoir le budget et les retraites. J’appelle tout le monde dans ce combat, parce qu’il faut la force et l’énergie des quartiers populaires. Les quartiers vont crever s’il n’y a pas de luttes, des luttes qui lient les gens à la société. S’il fallait terminer, ce serait par le mot « résistance ».

 

 

 

 

La conclusion de Samuel Thomas :

 

Nous avons revendiqué, avec une bonne partie des gens qui sont au pouvoir aujourd’hui, de doubler les moyens pour les associations d’éducation populaires qui travaillent dans les quartiers, en ponctionnant 10 % des mises sur le loto et le PMU et de les administrer en cogestion entre les associations et l’Etat pour être sûr de ne pas léser les associations militantes, antiracistes, politisées et qu’on cesse de pratiquer la sous-traitance avec elles. On ne peut pas s’en sortir sans le doublement, au minimum, des moyens donnés aux associations, ni sans la cogestion et la démocratie participative pour éviter les gabegies et la prise en otage des finances publiques par des gens qui s’auto-octroient le pouvoir de décider à qui il faut l’attribuer. Cette action va être continue pour nous afin d’élargir avec les syndicats, avec les partis, avec les associations pour construire des rapports de force, car bien évidemment, la levée de fonds n’est pas le fait de la générosité. Le rapport de force se construit par des initiatives comme celles-là. On le construira par des Etats-Généraux de l’égalité que nous avons déjà programmés pour l’anniversaire de la Marche pour l’égalité. Et bien évidemment, il ne faut pas compter que sur nous-mêmes. Il faut compter sur la convergence avec d’autres organisations. Le Parti socialiste doit adhérer à la critique de l’austérité, puisqu’il y adhérait avant d’accéder au pouvoir. C’est quelque chose qui doit unir l’ensemble des forces de gauche qui pensent que le système capitaliste s’est fait du beurre sur le dos des classes populaires, et qu’il faut inverser les rapports de force.