Education : Refuser l’austérité pour sauver les enfants des ZEP.

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Comment faire en sorte que l’État mette 30% de profs supplémentaires dans les ZEP pour rétablir l’égalité avec les enfants des classes dirigeantes qui ont droit aux meilleurs professeurs et aux meilleures écoles ? Comment lutter contre le décrochage scolaire dans les lycées professionnels sans garantir aux élèves des stages qualifiants en entreprise ?

 

Avec :

Eric Alberola (Enseignant, fondateur de la Maison des Potes de Narbonne)

Gérard Aschieri (Ancien Secrétaire Général de la FSU)

Marie Peretti (Collectif de Parents d’élèves de Seine Saint Denis)

Maximilian Raguet (Porte parole de la FIDL)

Sylvie Fromentelle (Vice Présidente de la FCPE)

Thibaud Renaudin (Délégué Général de l’AFEV) 

Cindy Pétrieux (présidente de la Confédération Étudiante)

Yannick Trigance (CR Ile de France et Sec. Nat. Adj. du PS à l’éducation)

 

 

 

 

 

Eric Alberola : Juste un petit mot d’introduction pour cadrer un peu le débat. L’OCDE et la Cour des Comptes qui sont des organismes officiels, dont on ne peut pas dire qu’ils sont aux mains d’affreux gauchistes, ont démontré dans plusieurs études que notre système scolaire accentuait les inégalités sociales et organisait le tri de nos enfants. D’autres études sociologiques nous disent clairement que le système scolaire discrimine à différents niveaux. Enfin commencent à sortir de la confidentialité, des études à caractère économique qui montrent, que contrairement à certaines idées bien ancrées dans l’opinion, les enfants des quartiers populaires ne sont pas mieux traités mais au contraire sont mal traités par rapport aux enfants des beaux quartiers. Les ZEP, les REP, les dispositifs ECLAIR sont des dispositifs qui font croire aux pauvres que l’on s’occupe d’eux, qu’on leur donne plus de moyens. Pour faire simple : c’est du pipeau. La réalité, c’est que les établissements de ces zones dites prioritaires coûtent 30 à 50 % moins cher que ceux des beaux quartiers. Parce qu’il y a des profs débutants qui sont moins payés, parce qu’il y a souvent des profs qui, face à la difficulté sont en maladie, et qu’aujourd’hui ils sont de moins en moins remplacés. Parce qu’on y trouve beaucoup de profs auxiliaires qui sont moins payés que des profs titulaires. Parce qu’il y a des options coûteuses qui n’y sont pas. Parce qu’il y a des activités péri-éducatives qui sont sous la responsabilité des collectivités territoriales qui sont aussi au rabais quand il y en a.

Un autre souci que rencontrent les jeunes collégiens ou les jeunes des lycées professionnels, c’est ce que moi j’appelle le scandale des stages, avec la difficulté pour les jeunes des milieux populaires qui n’ont pas de réseaux familiaux de trouver des stages intéressants pour leur scolarité. Il y a un accompagnement des institutions qui est loin d’être à la hauteur de ce problème.

Au-delà de ces constats rapides, l’objet de ce débat est de voir quelles convergences peuvent être construites pour rétablir l’égalité entre les établissements des quartiers populaires et des beaux quartiers.

 

 

 

 

  

 

Gérard Aschieri : Ce dont il est question c’est d’égalité dans l’éducation. Il faut qu’on s’entende sur les mots. Depuis des années, on nous parle d’égalité des chances. L’égalité des chances aujourd’hui c’est une politique de discrimination. Moi je plaide pour qu’on parle d’égalité dans l’accès effectif de tous à un droit à l’éducation de qualité. Deuxième idée : il y a une vraie bataille idéologique à mener derrière la notion que tous les élèves à priori sont capables de réussir. Un sénateur UMP, Jean-Pierre Carles a fait un livre tout à fait intéressant sur la question. Sauf qu’à la deuxième page, il nous dit : tous peuvent réussir, sauf 5 %. A partir du moment où on dit « Tous sauf une partie, c’est la porte ouverte à une cristallisation des inégalités. » Donc on a besoin d’un certain nombre de postulats pour l’école.

Qu’est-ce qu’on pourrait faire ? Première idée : traiter la question de l’inégalité dans la répartition des moyens. Depuis des années, la politique veut qu’on donne un petit plus à l’éducation prioritaire, le problème est de donner beaucoup plus. Parce qu’on donne en plus ne compense pas aujourd’hui les inégalités et les difficultés telles qu’elles existent. Cela peut se faire partiellement par redéploiement parce qu’il y a des endroits bien lotis et la question de l’équité dans la répartition des moyens est une vraie question. Il faut refonder l’éducation prioritaire en redéfinissant ses contours. Nous avons besoin d’une politique d’attribution de moyens supplémentaires en quantité suffisante pour faire une vraie différence. Une étude assez connue montre que la taille des classes influe sur la réussite dans les zones défavorisées et qu’il faut baisser beaucoup plus sensiblement le nombre d’élèves par classe en conséquence. Il ne s’agit pas de passer de 25 à 22, il s’agit de 25 à 16 élèves par classe. La question des moyens est une question nécessaire mais pas suffisante.

Les moyens doivent servir à permettre au personnel de travailler autrement. On a besoin de travailler en équipe ou tout qu’il y ait plus de professeurs que de classes. Faire travailler les professeurs c’est déjà entrer dans des pratiques différentes. Antoine Pro, grand historien de l’éducation, a publié il y a quelques mois dans Le Monde un article où il constatait que l’on avait toujours traité la baisse du niveau de l’éducation en termes de structures et que l’on ne s’était jamais soucié de ce qui se faisait dans la classe.

Deuxième idée : il y a un vrai problème de mixité de classes et de mixité scolaire au sein de l’éducation. Les politiques qui ont notamment été menées par Nicolas Sarkozy, notamment parce qu’il y a eu des dérives antérieures, ont abouti à ce qu’un certain nombre d’établissement les plus défavorisés se trouvent de plus en plus ghettoïsés. C’est un terme qu’emploie je crois la Cour des Comptes. C’est-à-dire qu’il y a de moins en moins de mixité sociale et de moins en moins de mixité scolaire. Or, ce qu’il faut savoir, c’est qu’on apprend mieux avec les autres. Ce que montrent les études de l’OCDE, c’est que l’efficacité d’un système éducatif va de pair avec la justice dans le cadre d’un système. Donc il y a urgence selon moi à traiter la libéralisation de la carte scolaire, mais aussi les contours de la sectorisation pour essayer de rétablir autant que faire se peut de la mixité sociale.

Dernière idée : 82 % de réussite au Baccalauréat, ça peut sembler très bien. Sauf que lorsqu’on regarde de près, c’est 82 % de ceux qui sont arrivés au niveau du Baccalauréat. Le problème, ceux qui sortent sans qualification du système éducatif dont le nombre ne décroit pas. Il y a un vrai problème à traiter de ce qu’on appelle les décrocheurs qui sont plutôt les décrochés du système éducatif. Il faut traiter cette question y compris en se demandant comment les faire revenir.

D’autre part, la massification d’accès au Baccalauréat a abouti a rapproché un peu les différentes classes, même si les enfants de cadres et d’enseignants ont beaucoup plus de chances de réussir que des enfants d’ouvriers. Sauf que les différences sociales se sont introduites entre les séries et les voies du Baccalauréat. C’est-à-dire qu’en termes de poursuite d’études, ce n’est pas la même chose si l’on a un Bac scientifique S, un Bac général ou un Bac technologique. Il y a une vraie question à traiter notamment au lycée pour que certaines voies ne soient pas des impasses ou des voies de relégation. Comment recréer des passerelles dans un sens ascendant ?

 

 

 

 

Marie Peretti : Le Collectif des Parents d’élèves du 93 s’est créé en octobre 2012 avec 5 villes présentes au départ et 23 aujourd’hui sur les 40 de Seine-Saint-Denis, collectif qui s’est créé sur un constat chiffré. Il a été observé qu’il y a un an de scolarité en moins pour les enfants de Seine-Saint-Denis scolarisés entre 3 et 17 ans, du fait des absences non-remplacées de leurs enseignants ; que 0,7 % des enfants de moins de 3 ans sont scolarisés contre 15 % au niveau national ; que le taux de réussite aux différentes évaluations (Brevet des Collèges, Baccalauréat, etc…) est entre 10 et 25 % inférieur au niveau national. 40 % de postes de médecins scolaires sont non-pourvus. Il me semble que ces données chiffrées sont importantes parce qu’elles permettent d’objectiver, qui nous amènent à nous demander si nous ne sommes pas là devant des formes sournoise d’une discrimination territoriale, à savoir un traitement différencié dont les enfants issus de Seine-Saint-Denis qui vont dans les écoles publiques du département font l’objet.

Cela nous a amenés, en octobre 2012, à élaborer une charte en 10 points que vous pouvez retrouver sur le blog du collectif et qui essaye de mettre l’accent sur des attentes légitimes qui permettraient de rétablir une certaine forme d’égalité entre les enfants qui suivent leur scolarité en Seine-Saint-Denis et les autres. Suite à cette charte, des actions ont été mises en place, notamment une Nuit des Ecoles qui a permis de mobiliser 130 écoles sur les 805 du département et qui a permis aussi de créer des espaces de discussion entre les parents d’élèves du quartier qui ne sont pas toujours mobilisés mais qui ont pu donner leur avis sur les difficultés quotidiennes liées à la scolarisation en Seine-Saint-Denis. Il y a eu aussi des actions pour les médecins scolaires et l’interpellation des élus afin qu’ils prennent des engagements forts sur ces questions.

Sur l’ensemble des actions que nous avons menées, nous avons réussi à mobiliser environ 4 000 habitants du département. Ce ne sont pas des gens qui ont l’habitude de s’impliquer dans la vie de l’école, donc pour nous c’est important. Ces personnes ont été mobilisées sur les questions des moyens aussi bien que sur une réflexion de fond : qu’est-ce qu’on attend de tout ça, qu’est-ce que, pour nous parents, la réussite.

La rentrée à venir continue aujourd’hui à nous mobiliser en premier lieu. Il y aurait entre 100 et 200 classes sans enseignants à la rentrée si on reste dans la situation actuelle. A priori, il y aurait 1 000 collégiens et lycéens sans affectation. La médecine scolaire nous inquiète beaucoup. Un certain nombres de maux tels la dyslexie, du fait du manque de médecins scolaires, ne sont pas identifiés et ont des répercussions extrêmement fortes sur l’échec scolaire.

 

 

 

 

Maximilian Raguet : On dit souvent que l’école est le miroir de la société. Aujourd’hui, quand on voit l’état de l’école, on peut se dire que la société va mal. Petit topo historique : depuis la massification scolaire, l’école ne s’est jamais adaptée au flux des nouveaux arrivants, que ce soit des élèves issus des quartiers, des fils d’ouvriers qui ont eu la chance de suivre des enseignements. Or, le format des cours n’est nullement adapté au profil des élèves. En fait, l’école aujourd’hui comme dans les années 70, ne répond qu’à 70 % des besoins de la population. C’est un fait dès l’école primaire qui est exacerbé au collège et au lycée. Quand au moment de l’orientation on ne laisse le choix qu’entre la filière poubelle, les lycées professionnels et les lycées généraux. On peut se demander jusqu’à quand on va garder ce système.

La FIDL lutte contre la ghettoïsation des lycées et s’attache à combler les fossés qui existent entre les lycées ghetto et les lycées dorés. La question de l’Education Nationale en France, et plus particulièrement dans les ZEP, ne se résume pas qu’à un problème de personnel. Elle passe par la refonte de la façon d’enseigner. Dans les zones prioritaires, il faut privilégier l’enseignement le plus individualisé possible, il faut un plus grand souci de l’orientation des élèves, il faut augmenter le nombre d’enseignants. La FIDL propose que ce soient les professeurs les plus expérimentés, car c’est eux qui ont le savoir-faire, qui aillent enseigner dans ces zones.

 

 

 

 

 

Sylvie Fromentelle : Nous sommes une fédération nationale. Nous avons des représentants dans tous les départements avec une diversité sociale. Nous sommes extrêmement sensibles à la question de l’enseignement sur les zones prioritaires puisque nos valeurs se basent notamment sur la gratuité. La question de la gratuité se pose en ZEP d’autant plus quand certains départements connaissent une hausse du coût des transports. Ce qui veut dire que pour certaines familles, le choix du lycée se fait sous contrainte financière. Par ailleurs, la question des manuels et des livres revient de façon systématique. Ce problème n’est pas seulement inhérent aux ZEP mais également aux milieux ruraux.

Nous sommes favorables à la mixité sociale. Dans les établissements où elle existe, les résultats de tous les élèves sont en augmentation. C’est un fait indéniable. C’est un apport important pour les élèves, pour les enseignants et pour les familles, car elle permet à des gens qui ne se connaissent pas de se rencontrer.

La question des zones d’éducation prioritaire va être une priorité du Ministre de l’Education à la rentrée. Nous allons être extrêmement vigilants à ce qu’on donne plus à ceux qui ont le moins. Sur la question des effectifs : une différence de cinq élèves par rapport à un établissement lambda est-elle suffisante ?

Notre système d’éducation qu’on vante tant est inégalitaire et a beaucoup de mal à bouger. Par exemple, nombre de façons d’enseigner encore à l’œuvre aujourd’hui ne sont plus valables. N’importe quel gamin qui a un téléphone portable dans son sac peut avoir accès à toutes les connaissances. Leur façon d’apprendre a également beaucoup changé depuis ces dix dernières années. Je ne vous parle  même pas d’il y a quarante ans. Or, on enseigne toujours de la même façon. Il y a donc un gros travail au niveau de la pédagogie qui doit être fait.

Nous essayons de voir quelles actions et démarches entreprises qui vont permettre aux familles d’aller à l’école mais aussi permettre à l’école d’aller aux familles car les choses ne se font pas seulement dans un seul sens. En ZEP, on a peut-être tendance à vouloir porter la bonne parole, mais ce n’est pas forcément d’une bonne parole dont on a besoin, mais d’un soutien et de faire en sorte que tout le monde aille dans le même sens pour l’enfant.

Sur des questions d’innovation pédagogique, il y a tout ce que les enfants savent faire en dehors du cursus scolaire. Un enfant n’est pas qu’un élève. Nous avons de fait également beaucoup bataillé sur les rythmes scolaires qui restent une question importante. Dans la nouvelle configuration qui est en train de se mettre en place, les partenaires autour de l’école, notamment les associations, vont pouvoir entrer dans l’école. L’animateur qui connait l’enfant dans un autre contexte permettra aux enseignants de porter sur lui un autre regard.

La question du vivre-ensemble et de la laïcité, nous préconisons de ne pas dissocier les établissements en ZEP des autres établissements. Il faut mettre des cadres qui soient bien pour tout le monde. Il faut tirer les choses vers le haut. Il faut arriver à un véritable travail commun entre toute la communauté éducative. Concernant les collectivités territoriales, elles ont un rôle important à développer de ce côté-là.

 

 

 

 

 

Thibaud Renaudin :L’AFEV est l’Association de la Fondation Etudiante pour la Ville. C’est un mouvement d’éducation populaire qui intervient dans 334 quartiers avec 8 000 jeunes engagés et déterminés à faire réduire les inégalités sociales. Ce sont 7 000 étudiants bénévoles, 540 jeunes en service civique et bientôt plus de 1 000 jeunes en colocation à projet solidaire. Ce sont des étudiants que l’on fait vivre dans les quartiers populaires, qui n’en viennent pas, et qui autour de colocations solidaires s’engagent dans des actions de solidarité dans les quartiers populaires. Nos 7 000 étudiants bénévoles interviennent majoritairement sur des questions d’accompagnement à la scolarité, gratuitement, au domicile des jeunes en difficulté, en lien avec l’Education Nationale, ce qui nous a permis de créer il y a six ans une journée nationale du refus de l’échec scolaire qui a lieu tous les mois de septembre. Cette année, elle aura pour objet les lycées professionnels.

Les quartiers populaires ont besoin d’égalité. Selon la Cour des Comptes l’année dernière, l’Etat avait investi en 2010 47 % de plus dans les lycées parisiens que dans les lycées de Créteil par exemple. Les quartiers populaires ne demandent donc pas plus. Ils demandent l’égalité, l’égalité de droit.

Ce qui me permet de rebondir sur la question de l’égalité des chances, qui est une tarte à la crème sans nom, aujourd’hui aussi bien utilisée par la gauche que par la droite. Symbole de cette société ultra-libérale, elle est aussi efficace pour régler la question de la difficulté scolaire que la Française des Jeux pour régler le problème de la pauvreté en France. Le principe de l’égalité des chances, c’est de donner parfois un peu plus ou c’est nécessaire. D’abord, ça culpabilise celui qui ne réussit pas. Et puis surtout s’il n’arrive pas au même niveau d’égalité, on s’en fout. Nous militions pour une égalité des droits durable, une égalité de dignité.

Ce système éducatif compétitif, élitiste, fermé sur l’extérieur, extrêmement disciplinaire et qui génère énormément de souffrance, pour les élèves, pour les enseignants, pour le personnel administratif, doit être repensé dans son ensemble ; ainsi que le rapport entre notre système éducatif et la population qui se dégrade sans cesse. Les jeunes des quartiers populaires « ramassent » un peu plus que les autres. On est dans une situation qu’il faut régler globalement. Ce gouvernement à l’évidence plus que le précédent s’emploie à changer les choses. Mais nous vivons une telle situation d’urgence qu’il faut à mon sens aller plus vite et plus loin.

Trois idées. Un, nous avons besoin de penser une école du plaisir d’apprendre, une école où c’est une véritable chance et que ce soit perçu comme tel par chaque élève. Le but d’aller à l’école c’est in fine de trouver un métier mais d’abord d’être libre. Un individu libre qui peut et doit aller vers une orientation choisie. Un des éléments qui nous paraît absolument aberrant dans notre système, c’est le système des évaluations qui percute directement les gamins des quartiers populaires, n’est plus adapté. Pendant les présidentielles, nous avons milité pour que les notations chiffrées soient supprimées à l’école primaire. On doit plus se diriger vers une évaluation des compétences de ce qui est acquis et de ce qu’il reste à acquérir.

Deuxième élément : repenser le collège. Nous sommes bien entendus très favorables à un collège unique, où la proposition en termes de formation soit la plus égalitaire possible sur l’ensemble du territoire. Nous sommes attachés à la carte scolaire. L’égalité et la mixité sociale sont une chance fantastique. Le collège devrait être repensé avec davantage de transversalité éducative d’une part entre les enseignants, et surtout avec une 6ème -5ème repensée comme une grande école primaire, et une 4ème-3ème comme une préparation à une autre orientation. Nous avons besoin d’un système éducatif qui s’ouvre beaucoup plus. Beaucoup plus sur les parents, qui sont les premiers éducateurs, avec des lieux pour eux au sein de l’école, mais aussi pour les associations d’éducation populaire qui ont un rôle important à jouer. Donc une transversalité éducative plus importante, qui fonctionne dans bon nombre de pays.

Le troisième élément, c’est la question de la voie professionnelle. 90 % des élèves sont en orientation subie. Le taux d’absentéisme dans les lycées classiques est autour de 7 % et de 15 % dans les lycées professionnels et ça fait la moitié des jeunes qui sortent du système éducatif sans qualification. Il y a une égalité de dignité à avoir. Et pourquoi arrêter notre système éducatif après des temps donnés. Chaque élève doit pouvoir évoluer à son rythme et les quartiers populaires ne sont particuliers sur ces questions-là. Ils ont simplement besoin d’égalité.

 

 

 

 

 

Cindy Pétrieux :La Confédération étudiante agit essentiellement dans l’enseignement supérieur. Ce que je retiens de mes rencontres avec les étudiants en ce moment-même, pendant les inscriptions, c’est que le plus gros facteur de décrochage est un manque de perspective. L’horizon n’est pas débouché, comme s’il y avait une limite infranchissable dont on ne sait pas ce qu’il y a derrière. A la Confédération étudiante, nous militons pour une orientation éclairée qui repose sur le fait d’avoir les bonnes informations. Quand 62 % des bacheliers 2012 regrettent que APB (Admission Post Bac, qui est l’outil pour faire ses vœux d’enseignement supérieur) ne fournit pas les taux de débouché, le parcours de ceux qui ont fait tel ou tel choix –BTS, licence, IUT…–, il y a de vraies questions à se poser. Les jeunes de notre génération ont envie de s’orienter et pas d’être orientés.

Pour avoir des informations aujourd’hui, il existe tout un tas d’organismes dans les différentes structures pour soi-disant donner des chiffres sur la formation professionnelle. Mais on s’aperçoit que les chiffres, on leur fait dire ce qu’on veut. On considère qu’un jeune qui a fait un stage après une licence ou un master est inséré professionnellement. Donc, nous aussi, en tant que syndicat, en tant qu’associatifs, on peut organiser des réseaux d’information. C’est un peu un appel que je lance : dans chaque ville, il y aurait un travail à faire entre les lycéens et les étudiants pour créer ces passerelles. Ça fait des années qu’on les demande, ça fait des années qu’on les attend. A un moment, il faut se prendre en main parce que les étudiants en deuxième, troisième année de licence ont de vraies informations à donner et il y a ce besoin de rencontre entre ces jeunes.

Réclamer des passerelles dans le sens ascendant revient à favoriser le Bac général alors qu’il y a un travail de revalorisation des filières à faire, notamment des filières professionnelles qui sont continuellement dénigrées. Aujourd’hui un BTS ou un DUT seront toujours moins côtés qu’une licence à l’université. Et encore, ça dépend de quelle licence. C’est un phénomène que l’on retrouve dès le lycée. Certes il n’y a pas d’université ZEP mais on entend souvent les termes « université de banlieue » ou « université parisienne » par rapport aux « université de province ». Ce manque de perspective freine dans l’envie de réussite. Le plaisir d’apprendre c’est aussi avoir des perspectives collectives et individuelles pour la suite.

Concernant les affectations des jeunes enseignants en ZEP ou dans des milieux ruraux qui sont vécues comme des punitions, il y a là quelque chose à travailler dans nos universités par rapport à l’image des ZTP et du monde rural qui y est véhiculé.

Le dernier point sur lequel je m’arrêterai, c’est le système des bourses sur critères sociaux qui sont attribués dans l’enseignement supérieur. Elles sont bien évidemment trop faibles. Aujourd’hui seulement 30 % des élèves les plus pauvres ont accès à une bourse ce qui veut dire qu’une bonne partie d’entre eux sont laissés de côté. Et encore quand ils la demandent car nombre d’entre eux ne connaissent pas ce système. C’est encore le rôle des institutions de pouvoir accompagner chaque jeune dans sa réussite.

 

 

 

 

 

Yannick Trigance :L’école, c’est un projet de société. Cette école de la République doit préparer des citoyens éclairés qui comprennent le monde dans lequel ils vivent, capables de se forger leurs propres jugements, capables de réfléchir. Or la réalité du système aujourd’hui c’est qu’il est malade du tri qu’il opère dès le plus jeune âge entre ces enfants. Si la scolarisation des enfants de moins de trois ans est aujourd’hui une priorité, c’est précisément parce qu’il s’agit d’un levier de lutte contre les inégalités. L’école française est celle où l’origine sociale pèse le plus sur les résultats scolaires de nos élèves. C’est-à-dire que l’école est incapable de limiter l’impact du milieu social sur leur réussite scolaire et c’est une catastrophe. Sur plus de 12 millions d’élèves, nous avons un million d’écoliers, un demi-million de collégiens et quelques centaines de milliers de lycéens en éducation prioritaire. Quels sont les résultats ? En zone d’éducation prioritaire, les redoublements sont multipliés par deux, 50 % des élèves de 15 ans sont en grande difficulté de maîtrise de la langue et 50 % de plus d’élèves en formation professionnelle sans l’avoir choisi. De 1997 à 2007, à l’entrée en 6ème, le pourcentage d’élèves de l’éducation prioritaire en difficulté de lecture est passé de 21 à 32 %. La situation s’est dégradée et on doit s’interroger sur l’efficacité des politiques publiques qui ont été menées.

Incontestablement, la question de l’individualisation des dotations se pose. Il n’est pas possible de continuer à financer de la même manière des élèves de Neuilly-sur-Seine et Neuilly-sur-Marne, par exemple, parce que ces enfants ne sont pas sur la même ligne de départ. Il va falloir avoir le courage politique de dire qu’en fonction des endroits, les dotations ne doivent pas être les mêmes. Cela permet d’aborder la question de l’enseignement privé sans aucun tabou. Sur la question du financement le PS est très clair. Les dotations ne peuvent se faire qu’en fonction du type de public accueilli. S’ils nous disent qu’ils accueillent aussi un public en difficulté, on ira voir. Ce n’est pas le sentiment que nous avons aujourd’hui.

La deuxième piste de travail, c’est la question de l’autonomie pédagogique dont les enseignants ont besoin. Cette autonomie fait que par exemple en Seine-Saint-Denis, les enseignants réfléchissent à un certain nombre de dispositifs pédagogiques et souvent avec beaucoup d’acuité parce que lorsqu’on est dans la difficulté, on est obligé de mettre en place des stratégies. Aujourd’hui les ZEP, je le dis sous forme de boutade mais ce n’en est pas une, sont des zones d’exclusion et de précarité alors que du fait qu’elles sont prioritaires, elles devraient être des zones d’excellence pédagogique. On devrait pouvoir permettre aux enseignants pédagogiquement de traiter ces questions-là.

La troisième piste de réflexion, c’est la stabilisation des équipes. Certains collèges en Seine-Saint-Denis connaissent un renouvellement de 95 % des enseignants chaque année. Nous devons nous interroger sur les moyens à mettre en œuvre pour stabiliser ces équipes. Evidemment la formation, mais aussi donner les moyens d’attirer les enseignants dans les départements et les quartiers et les y maintenir par la mise en place de conditions matérielles, conditions de vie.

Quatrième élément, l’amélioration des conditions d’exercice des personnels dans les établissements. La formation continue, mettre un enseignant de plus que le nombre de classes, le traitement de la difficulté scolaire notamment avec les RASED dont le nombre a été diminué de 35 % sous la droite et qui sont en cours de réhabilitation.

Autre élément, la question de l’orientation et du décrochage ou plutôt du raccrochage. Le décrochage c’est aujourd’hui 120 000 chaque année qui disparaissent du radar. En Ile-de-France, c’est 35 000 jeunes. Au Conseil régional, nous avons mis en place des dispositifs, notamment ce soit avec les écoles de la seconde chance. Nous considérons que l’éducation est un investissement.

Dernière chose, la question de l’école dans son quartier. L’école est sur un territoire. C’est difficile pour l’école d’être égalitaire dans une société qui est profondément inégalitaire. Et on ne peut pas traiter cette question-là sans prendre en compte les territoires. Aujourd’hui, on le sait, dans les territoires d’éducation prioritaire, le pourcentage de jeunes mamans qui font des fausses couches est multiplié par deux, le pourcentage des élèves qui ont des problèmes de vue est multiplié par deux, qui ont des problèmes d’audition, de dentition, d’obésité, il est deux fois plus important sur ces territoires-là. C’est aussi la question de l’implication des collectivités territoriales et des politiques publiques, et celle aussi de l’école par le biais des médecins scolaires. En Seine-Saint-Denis, il faut qu’on s’interroge. On a des postes budgétaires qui existent, pas assez mais qui existent, et personne ne veut venir dessus. Cela interroge sur la formation des jeunes médecins.

 

 

 

Interventions de la salle :  

 

Une intervenante :Une chose que l’on n’a pas abordée. Il manque énormément de psychologues scolaires dans les ZEP mais également de conseillères d’orientation psychologues, alors que ce sont des zones où les jeunes ont le plus de mal à s’orienter. C’est quelque chose auquel il faudrait remédier.

 

  

Hannah Trifiss :Je viens de Bezon dans le Val d’Oise, membre titulaire au Conseil régional d’Ile-de-France et par ailleurs porteuse d’un projet sur l’inclusion des enfants handicapés au sein du milieu éducatif ordinaire. Il y a une surconcentration des enfants issus de l’immigration dans les quartiers et donc un repli sur soi qui est dû au fait qu’ils rencontrent des difficultés dans les établissements français qui les accueillent. Je pense qu’il faudrait avoir aussi des actions en amont auprès des parents. Il y a une inégalité certaine au niveau de la socialisation primaire, c’est-à-dire dès l’école maternelle.

 

                

Raoul Mermoz :Je suis membre du Parti Socialiste. On parle de l’échec scolaire qui favorise l’orientation dans des voies de garage comme les lycées professionnels. En 1981, il y a eu des expériences pédagogiques, je pense aux lycées expérimentaux, notamment le lycée expérimental de Saint-Nazaire créé par Gaby Cohn-Bendit. Est-ce que ces expériences, qui sont des expériences innovantes dans l’éducation nationale, ne pourraient pas être étendues ?

 

Martin :Je suis militant à la FIDL. Il y a un réel problème au niveau du décrochage scolaire à cause du manque d’aide pour les recherches de stage. Aujourd’hui, un élève qui ne trouve pas de stage est viré de sa filière. Aucune structure n’existe à l’intérieur des lycées pour aider les élèves. Il existe également un problème de valorisation concernant les Bacs pro. Par exemple, il n’y a pas de philo en terminale de Bac pro, comme si en Bac pro on n’était pas capable de réfléchir.

 

Un intervenant :Je suis instituteur et j’ai plaisir à aller enseigner dans mon école, et ceci depuis des années. Il me semble que la formation en alternance est quelque chose d’important à mettre en avant. Tout comme il est important d’apprendre tout le long de sa vie. Et j’aimerais remettre dans la discussion le crédit de formation, à savoir qu’effectivement si certains décrochent, ils peuvent avoir l’envie de retourner à l’école.

 

Mathieu Glaymann : Je suis membre du collectif des parents de Seine-Saint-Denis. Quand on a été reçu par Vincent Peillon, il a eu une expression très forte. Il a dit : « Ce que vous me décrivez, c’est la honte de la République. » On a fait une proposition de créer un droit opposable à l’éducation. Je rappelle que le Parti Socialiste avait proposé dans sa campagne d’avancer l’obligation de la scolarisation à 3 ans et jusqu’à 18 ans. Je pense que cette question devrait être reposée dans le cadre de la refondation de l’école.

 

 

Yannick Trigance :Je suis convaincu que les écoles maternelles sont un outil de lutte contre les inégalités absolument extraordinaire. Sauf que la réalité c’est qu’aujourd’hui pratiquement 100 % des enfants de 5 ans sont scolarisés, quasiment la même chose sur les moyennes sections et on doit être à 99 % sur les enfants de 3 ans. Si on rend l’école maternelle obligatoire, il va falloir réglementairement financer l’école maternelle privée. Il faut savoir que dans la loi de refondation de l’école, il y a une réelle réhabilitation de l’école maternelle par rapport à ce que la droite avait fait. La droite a sacrifié l’école maternelle sur l’autel des considérations budgétaires.

 

Raphaël : Je suis militant aux Jeunes Socialistes en Seine-Saint-Denis. On se rend compte qu’il n’y a pas une égalité mais plusieurs égalités. L’égalité des droits qui est invoquée par tous ceux qui se proclament républicains, l’égalité des chances mais pour autant ce n’est pas à mon sens l’égalité que nous devons porter qui est l’égalité réelle. L’égalité réelle c’est sortir du constat qu’il y a des difficultés pour certains de pouvoir s’en sortir, et mettre les conditions, bâtir la société de telle sorte que quel que soit son lieu d’origine ou ses caractéristiques, on puisse réussir. Cela passe par des éléments culturels, de l’héritage scolaire.

Il faut effectivement donner plus de moyens aux lycées pro qui sont complètement laissés à l’abandon, favoriser l’aide à la recherche de stages et également l’idée d’une année passerelle vers l’université.

Par rapport à l’austérité, c’est par la péréquation mais pas seulement qu’on peut augmenter les moyens des établissements en difficulté. Ce n’est pas en opposant les établissements entre eux que l’on pourra juguler l’austérité mais en partant des besoins réels de chaque lycée, en ayant de lieux de formation partout. On ne peut pas considérer la dépense scolaire comme une dépense.

 

 

La conclusion de Samuel Thomas :

 

Pour donner un point de vue militant de la FNMDP, le travail de convergence entre syndicats d’enseignants, de parents d’élèves, de lycéens, d’étudiants ou d’associations qui font du soutien scolaire, la convergence est difficile. Chacun défend son milieu. Celui de l’éducation national, n’en parlons pas, parce qu’il s’agit aussi d’arbitrages financiers. Ce qui importe, c’est de réussir à au moins partager le diagnostic sur le fait que contrairement au vocabulaire Zone D’Education Prioritaire, les enfants qui sont dans les territoires de l’éducation prioritaire sont les plus mal traités par l’éducation nationale et ont droit à une dépense publique de 30 à 47 % inférieure à celle pour les autres enfants. Que la revendication de diminuer les effectifs par classe réclamée par les pédagogues doit entraîner une augmentation d’effectifs adultes apparaît logique. Mais elle est souvent perçue comme un renoncement à faire venir les profs expérimentés, au renoncement de faire venir les options et au renoncement à la mixité sociale. On nous fait le reproche d’être des défaitistes, des pessimistes et de ne pas avoir confiance en l’éducation nationale. Mais peut-être qu’on a trop longtemps espéré cela pour continuer de l’espérer. Et si au moins, même avec des enseignants débutants, même avec des écoles pauvres, on pouvait augmenter les effectifs pour arriver à une diminution du nombre d’élèves par classe, ça pourrait être un objectif et ça pourrait permettre de renforcer des innovations pédagogiques qui ont été réclamées tout au long des interventions. Nous continuons à travailler sur l’idée que les zones d’éducation prioritaires ne sont en rien prioritaires. Il faut déséduquer ou rééduquer l’opinion publique, les hommes politiques, sur ce vocabulaire pour qu’on arrête de faire croire que la population des ZEP a été prioritairement soutenue. Plus on le laissera croire, plus on va désespérer les gens sur le fait qu’il n’existe plus de solution, que c’est une population qui sera perpétuellement en échec scolaire puisqu’on a déjà donné assez d’argent pour eux. Ce désespoir est grave dans l’opinion publique mais dans les populations elles-mêmes a un impact terrible. Nous allons continuer de converger avec les organisations, avec les syndicats de parents d’élèves, notamment celui du 93 avec qui nous créons des liens aujourd’hui. A priori, s’il n’y a pas de rapport de force pour réclamer une redistribution des richesses vers ces territoires, il y a peu de chance qu’on soit entendu.